Ecologie & Société

Commerce équitable Nord-Nord : vers un nouveau modèle économique ?

Introduction

Selon quatre grandes structures internationales (Fairtrade Labelling Organizations, World Fair Trade Organization, Network of European Worldshops, European Fair Trade Association), le commerce équitable pourrait se définir comme "un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel".

Voilà une excellente définition, mais pourquoi ne s'appliquerait-elle pas aussi aux productions des pays du Nord ? Le commerce dans les pays développés est loin d'être équitable et durable, et l'on est en droit de s'interroger : pourquoi s'occuperait-on des problèmes des voisins avant de régler les nôtres ? Les conditions de travail des agriculteurs français ne sont pas les meilleures, et la qualité de leur produits est altérée par les modes de production de l'agriculture intensive qui ne respectent pas l'environnement.

Depuis peu, on voit donc émerger le concept de "commerce équitable Nord-Nord", locution paradoxale, puisque la définition de commerce équitable comprend intrinsèquement la relation entre les petits producteurs des pays du Sud et les circuits de distribution des pays du Nord. Pour les partisans d'une économie mondiale équitable et durable, il est temps de revoir la copie du commerce équitable en y incluant le facteur "local". Où en sommes-nous du commerce équitable Nord-Nord ? Un petit dossier pour faire le point.


1. Principes du commerce équitable Nord-Nord

L'idée est simple ; il s'agit de reprendre les principes fondamentaux du commerce équitable (source: WFTO) et les appliquer au commerce local :

– Créer des opportunités pour les producteurs qui sont économiquement en situation de désavantage
– Assurer la transparence et la crédibilité
– Développer l'autonomie des travailleurs
– Sensibiliser le public au commerce équitable
– Assurer le paiement d'un prix juste au producteur
– Assurer l'égalité entre les sexes
– Assurer de bonnes conditions de travail
– Respecter les droits des enfants
– Respecter l'environnement
– Les organisations de commerce équitable ne doivent pas faire de profit au détriment des petits producteurs.

L'union fait la force… dans la pratique, le commerce équitable Nord/Nord s'organise sous forme de réseaux d'échanges qui vont de la production à la distribution. L'objectif est de réunir les agriculteurs au sein de coopératives démocratiques qui les soutiennent tout en respectant leur autonomie.

Si le commerce équitable Nord-Sud comprend aussi bien des produits alimentaires que des produits d'artisanat, le commerce équitable Nord-Nord concerne surtout l'alimentaire, et essentiellement les agriculteurs bios et les petits producteurs locaux.

Il met en place les circuits de production et de distribution les plus courts possibles, afin de développer le commerce régional. Ainsi, les produits issus du commerce équitable Nord-Nord sont généralement vendus en marge de la grande distribution, soit par le biais de réseaux associatifs, ou dans des magasins spécialisés.


2. Quelques Nord-Nordistes

Alter Eco et la Corab

Alter Eco, dont nous avons déjà parlé dans un précédent article, est une société qui commercialise des produits de commerce équitable. Elle s'est récemment associée à la Corab, (Coopérative régionale d'agriculture biologique). Grâce à cette collaboration, elle lance en mars 2011 une nouvelle gamme de produits biologiques, équitables, produits et commercialisés en France dans tous les réseaux de distribution. Alter Eco s'engage donc dans le commerce équitable au Sud comme au Nord.

Le réseau de distribution Biocoop

Le réseau Biocoop comprend des magasins bios dans toute la France, et privilégie les producteurs français dans le choix de ses fournisseurs. Depuis peu, il va plus loin en créant la filière équitable et durable "ensemble pour plus de sens", dont le logo affiché en rayon indique un produit issu d'une production régionale, qui répond à des critères de qualité très stricts, et pour lequel le producteur a reçu une juste rémunération.

Les Amaps

Ou Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne. Les Amaps ne s'étiquettent pas “commerce équitable Nord-Nord", mais l'idée est la même : elles réunissent un groupe de consommateurs et un agriculteur géographiquement proches, tous prêts à adopter une démarche de commerce solidaire et à respecter un contrat établi : le producteur s'engage à fournir une fois par semaine un panier de produits frais (fruits, légumes, fromage, viande, lait…) aux consommateurs, qui s'engagent, eux, à récupérer ce panier chaque semaine.

Les membres des Amaps recherchent des aliments sains, produits dans le respect de la nature et de l'être humain. Le prix doit être abordable pour les consommateurs, mais suffisant pour que le producteur s'y retrouve. Le fait que ce contrat s'inscrive dans la durée offre une sécurité financière au producteur. Les saisons de productions sont respectées, afin de préserver l'environnement ; aussi le consommateur ne choisit pas ce qu'il va avoir chaque semaine. Au risque de se retrouver avec des produits dont on ignorait parfois jusqu'à l'existence, mais avec l'effet de surprise, la découverte de nouveaux aliments et de nouvelles recettes.

+ d'infos : Alter Eco, Corab, Biocoop, Amaps


3. Vers une économie équitable mondiale ?

La redéfinition du commerce équitable non restreinte aux échanges entre les pays du Nord et du Sud répond aux critiques que l'on pouvait émettre à son égard concernant un système certes plus juste, mais toujours dans une logique d'import-export et de dépendance entre pays en voie de développement et pays développés. Avec le commerce équitable Nord-Nord, on introduit l'idée que l'équité ne devrait pas se limiter aux échanges Nord-Sud, mais devenir un modèle économique global fondé sur des pratiques de production et de commercialisation locales.

C'est ce que propose l'association Minga, par exemple, en développant une réflexion sur une économie équitable mondiale qui irait au-delà des échanges Nord-Sud ou même Nord-Nord. Elle vise à l’universalité du commerce équitable, non seulement sur le plan géographique, mais aussi par rapport à la diversité des secteurs d’activité. Alors que les principes fondamentaux du commerce équitable se focalisent sur le producteur, l’idée de l’association Minga est de faire en sorte que l'équité s'applique à tous les acteurs du circuit économique : producteurs, transporteurs, transformateurs, prestataires, commerçants et consommateurs. Pour ce faire, elle réunit tous les particuliers, associations et entreprises qui souhaitent s'inscrire dans cette démarche, quel que soit leur secteur d'activité et leur emplacement géographique.

D’une certaine façon, même sans label, les réseaux de commerce équitable à échelle locale existent depuis longtemps, en marge des modes de productions intensifs et de la grande distribution. Marchés, associations, Amaps… mais la notion émergente de commerce équitable Nord-Nord (bientôt le Sud-Sud ? à quand le Monde-Monde ?) montre que ces réseaux ont besoin de se légitimer, de se théoriser, de se labelliser peut-être, pour parvenir à s'imposer en tant que modèle économique mondial.

Au sujet de la légitimation du commerce équitable Nord-Nord, Gilles Maréchal, de la FR Civam Bretagne, dans un texte intitulé Commerce équitable : quel transfert d’expérience vers des circuits Nord-Nord ?, affirme qu’à l’heure actuelle, celle-ci “ne semble pas exister. D’une part parce que le groupe « agriculteurs » n’est pas perçu comme un groupe cible à appuyer en priorité. La délimitation d’un groupe cible repose dans l’expérience du commerce équitable sur un statut d’altérité : les « petits paysans du Sud » sont perçus comme un groupe isolable, particulièrement menacé, et à ce titre digne d’intérêt. Or les agriculteurs du Nord sont ressentis comme un groupe très hétérogène, pas fondamentalement isolable de la population générale et pas particulièrement plus mal loti que d’autres groupes sociaux”.

Mais cette perception des agriculteurs du Nord est en train de changer, car leur situation est de plus en plus précaire : à cause des exigences du marché, qui privilégie le rendement au détriment du bien-être des agriculteurs et de la qualité de leurs produits, leur charge de travail augmente et leurs revenus ne cessent de diminuer : en 2009, les revenus des agriculteurs français ont connu une baisse de 19% par rapport à l’année précédente, alors qu’ils avaient déjà chuté de 10,8% en 2008 (source : planet-agri.com).

Les aides de la Pac ont certes permis une remontée spectaculaire des revenus des agriculteurs en 2010, mais elles ne font que contourner le problème de ces structures agricoles beaucoup trop coûteuses. Un sondage Ifop réalisé en 2010 nous apprend que trois agriculteurs sur quatre sont pessimistes quant à leur avenir économique. Et le Cepidc révèle que «le taux de suicide des agriculteurs exploitants est le plus élevé des catégories socio­professionnelles, à 32 pour 100 000, contre 28 pour 100 000 chez les ouvriers et 8 pour 100 000 pour les professions intellectuelles supérieures». Face à une agriculture en danger, le système du commerce équitable Nord-Nord finira sans doute par acquérir sa légitimité.

+ d'infos : Minga

Charlotte Normand, actrice biologique

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